L’affaire a fait les choux gras de la presse locale la
semaine dernière, où
le
Directeur général des Transports Routiers et Ferroviaires, Kokou Delato Agbokpè
est présenté dans la presse comme le plus
« gros poisson » tombé dans les filets de Haplucia, Haute autorité de
prévention et de lutte contre la corruption et les infractions assimilées.
Mais, fidèle à sa tradition de ne pas faire dans la précipitation pour une
affaire qui mérite plus de sérieux dans son traitement à la suite de plusieurs
recoupements, la rédaction du journal La Manchette a pris du temps pour mieux appréhender
la supposée affaire de détournement de fonds à la Direction des Transports
Routiers et Ferroviaires (DTRF). Voici donc les faits.
Par
un courrier, Delato Agbokpè, le Directeur général des Transports Routiers et
Ferroviaires (DG TRF) a été invité par la Haplucia en vue d'une audition le 8
juillet dernier. A la suite, une série d’articles a paru dans les journaux avec
des accusations aussi grotesques qu’imaginaires portées contre le sieur Delato Agbokpè.
En
effet, alors que la preuve de détournement n’a jamais été établie, sur le fond,
M. Agbokpè est déclaré coupable de détournement de fonds de la DTRF. En outre,
le déroulé de son audition à la Haplucia a quasiment été relayé par la presse,
alors que cette institution est astreinte, au regard des textes qui le
régissent, à la confidentialité et au respect de la présomption d’innocence des
citoyens visés par ses procédures.
Détournement,
qu’en est-il exactement ?
Jusqu’à
preuve de contraire, et à l’heure actuelle, ce serait une vue de l’esprit
d’évoquer un quelconque détournement à la DTRF, puisque comme nous l’évoquions précédemment,
aucune preuve de détournement n’a été établie. Alors, que s’est-il passé ?
Le
sieur Agbokpè a été confronté à des difficultés d’accès aux ressources pour les
besoins d’investissement censés améliorer le cadre de la perception. Après les
recettes, la DTRF dispose de deux lignes pour le versement: le Trésor public et
la Redevance au titre de la délivrance des documents d’identification (RDI). La
RDI est un organe de gestion des ressources générées par la DTRF et la
structure de production des cartes grises et permis définitifs. C’est également
le comité de gestion des redevances au titre de la délivrance des passeports,
cartes d’identité et autres documents d’identification. Le président du Comité
de gestion de la RDI au moment des faits était Pekemsi K., ancien DG de la LONATO.
D’après
les textes, la RDI finance les projets d’investissement de la DTRF. Mais
plusieurs fois, selon l’entourage de M. Agbokpè, ce dernier a sollicité un
appui financier de la RDI dans le cadre de la construction d’infrastructures et
la réalisation de certaines opérations. Ses courriers sont toujours restés sans
suite. Or, depuis sa prise de fonction en 2013, la DTRF n’a aucune ligne au
budget général, et par conséquent, toutes les dépenses devaient logiquement
être prises en charge par la RDI. Donc, c’est de cette complexité qu’est née l'affaire
de détournement de fonds qui se fonde essentiellement sur la gestion des fonds
issus de deux (02) opérations foraines réalisées dans le cadre de
l'immatriculation des motos en 2015.
- Opérations
foraines
Deux
grandes opérations foraines d’immatriculation des motos à l’intérieur du pays
ont été réalisées du 1er décembre 2014 au 06 février 2015, et du 05 mai au 04
septembre 2015. Un courrier du DG Agbokpè adressé au président du comité de
gestion de la RDI sollicitant le financement de ces opérations est resté sans
suite. La DTRF, agence d’exécution des opérations d’immatriculation, est
normalement sous la tutelle du Ministère des infrastructures et des transports,
et non sous celle de la RDI. D'après l'arrêté interministériel
N°147/MEF/MISD/MCITDZF/CAB du 07 juin 2005 fixant les modalités de gestion de
la RDI, le DG TRF est ordonnateur des dépenses et ne devrait en aucun cas
recueillir l'aval de la RDI avant tout décaissement. Mais lorsque ce dernier a
envoyé par exemple le budget de l'organisation des opérations foraines
d'immatriculation au comptable de la RDI pour utiliser les fonds sur sa ligne,
ce dernier a opposé un refus catégorique au motif que la RDI a prévu de faire
une "journée porte ouverte" sur l'immatriculation. Par conséquent, il
ne peut plus mettre à disposition des fonds pour les foraines. C'est le DG
Sotopla-Céva qui les a préfinancées sur demande du DG TRF, mais il a été
remboursé juste après l'opération, d’après nos enquêtes.
- L’affaire en chiffre
Le
nombre total de motos immatriculées au cours des deux opérations foraines est
de 36 968. Le montant total à verser à la RDI à l'issue de ces opérations
s'élève à 369 680 000 F CFA. Le montant réellement versé à la RDI est de 151
050 000 F CFA. Le montant non versé à la
RDI, et qui est dit détourné, est à hauteur de 218 630 000 F CFA. Son
utilisation a été justifiée. Delato Agbokpè, dans une correspondance adressée à
l'Inspecteur général d'Etat le 21 mars 2017 suite à une demande d'explication
de celui-ci, écrivait ceci: "Le montant non versé à la RDI à savoir 218
630 000 F CFA a été utilisé pour la réalisation de plusieurs travaux sur le
site de la Direction des Transports Routiers et Ferroviaires (DTRF)" et
pour supporter les charges liées aux opérations foraines qui nécessitent
d'importants moyens humains et financiers. En effet, pour améliorer la qualité
du service afin d'atteindre l'efficience et l'efficacité recherchées, la DTRF a
besoin des investissements pour doter le personnel de moyens adéquats, afin que
ceux-ci puissent servir les usagers dans des conditions acceptables. La mise en
œuvre de cette réforme nécessite des moyens, mais les multiples demandes
d'octroi de ressources d'investissements formulées par la DTRF n'ont pas fait
l'objet d'une suite favorable. Pour satisfaire ces besoins, les fonds retenus
sur les opérations ont été affectés aux dépenses d'investissement".
L'action de M. Agbokpè est une « rétention
de fonds », mais pas « un
détournement ». Vu les circonstances et la cause pour laquelle ces
fonds ont été retenus, la rétention devient une nécessité absolue pour causes
d'utilité publique. « Suite à vos réponses à la demande d'explication qui
vous a été adressée, d'autres pièces et documents nous paraissent nécessaires
pour la suite de nos investigations. A cet effet, je vous communique la liste
des pièces qu'il nous faut. Il s'agit des pièces justificatives des dépenses
faites sur les fonds des deux opérations foraines, les justificatifs de l'achat
à crédit des timbres mis à la disposition de l'opération foraine et le reçu du
payement, l'adresse complète du responsable du pool des assurances, les textes
qui vous autorisent à effectuer les dépenses sur les fonds de la RDI, »
lit-on dans le courrier n° 32-17/PR/IGE du 11 avril 2017 portant demande de
documents, adressé par l'Inspecteur général d'Etat au Directeur des transports
routiers. Ce dernier s'était empressé de produire tous les documents
sollicités. « L'usage de ces fonds a été justifié pièce par pièce. M. Delato
Agbokpè a juste fait preuve de courage, de pragmatisme et surtout de
clairvoyance, pour contourner l'obstacle dressé sur son chemin afin de
l'empêcher d'accomplir effectivement les réformes à la DTRF pour lesquelles il
a été nommé par le chef de l'Etat. Outre les investigations de l'inspection
générale d'Etat sur cette affaire, le Service central de recherches et
d'investigations criminelles (SCRIC), ancien SRI, a également mené ses enquêtes
ponctuées de plusieurs auditions. Les enquêtes ont été bouclées, le président de
la République est informé des résultats blanchissant Delato Agbokpè, ce qui le
conforte dans sa noble mission d'assainissement et de modernisation des
services de la DTRF, » nous a confiés un proche du dossier.
Haplucia, ce qu’il
faut craindre
Dans
ses attributions définies par la loi N°2015-006 du 28/07/2015, la Haplucia est
censée promouvoir le respect de la présomption d'innocence et le principe
d'égalité dans le procès pénal, et tenir au respect du secret professionnel, à
la confidentialité dans le traitement des dossiers.
Toutes
ces dispositions ont été clairement violées dans le processus d'audition
d'Agbokpè. On dirait que tout a été fait pour que les informations relatives à
cette audition se retrouvent sur la place publique. Par ailleurs, l'homme a été
présenté comme coupable des faits à lui reprochés. Presqu’en intégralité,
d’après les indiscrétions, le déroulé de la séance a été communiqué à
l'extérieur: un manquement attentatoire à la crédibilité de cette institution. Des
faits qui suscitent logiquement moult questions. Nous aurons appris que le
sieur Xavier Allado, dans la semaine dans laquelle a comparu Delato Agbokpe,
serait passé dans les locaux de la Haplucia. Qu'est-il allé chercher, et
pourquoi, particulièrement, son passage a été tenu secret et n'a fait de bruit
dans la presse? La Haplucia serait-elle devenue un instrument que les uns
peuvent facilement manipuler et utiliser à des fins calomniatrices d'honnêtes
citoyens? La Haplucia, à cette allure, pourrait-elle atteindre effectivement
les objectifs à elle assignés dans le cadre de la lutte contre la corruption ?
Est-elle devenue une institution si transparente au point que tout ce qui s'y
passe est vue de l'extérieur? Autant de questions qui taraudent les esprits et
qui inquiètent sérieusement les togolais.
Voici
donc les faits présentés après les investigations du journal La Manchette, et
également nos légitimes interrogations sur la Haplucia.
Togo/Détournement de fonds à la DTRF: Ce qu’il faut réellement savoir
.jpg)