« Toilettée » le 31 décembre 2002 par une Assemblée
nationale dominée par les députés du Rassemblement du peuple togolais (RPT), la
Constitution, qui avait été plébiscitée par plus de 97% des électeurs le 27
septembre 1992, se trouve aujourd’hui au cœur d’une grande contestation puisque
l’opposition togolaise exige un retour à sa version originelle, qui empêcherait
par un jeu de rétroactivité l’actuel chef de l’État de se représenter pour un
nouveau mandat en 2020. Du côté de la mouvance présidentielle, même si elle
semble acter des réformes pouvant permettre de revenir aux fondamentaux de la Constitution
de 1992, elle émet des signaux de rejet d’un départ de l’actuel chef de l’État
une fois les textes constitutionnels validés. L’idée de compteur à zéro est
émise et ça crée toute la controverse.
« La modification de la Constitution en 2002
était soutenue par de nombreux impératifs. D'abord, je voudrais dire que cette
Constitution n'a pas été modifiée en catimini, comme nos adversaires le font
croire. Je rappelle seulement que le 1er mai 2002, lors de la dernière session
du Comité paritaire de suivi (CPS) tenu dans les locaux de l'UNESCO à Paris, en
présence des facilitateurs Français, Allemands et Européens, j'avais annoncé à
l'opposition que si vous ne venez pas à l'élection législative anticipée, mon
parti le RPT risque d'avoir une majorité suffisante, alors dans ce cas, nous
allons modifier la Constitution. Donc, ils étaient tous prévenus ».
C’est
en ces termes qu’en 2015, Fambaré Ouattara Natchaba, ancien président de
l’Assemblée nationale et ancien cadre du parti au pouvoir, le RPT devenu UNIR, relatait
les motifs qui ont concouru au toilettage de la Constitution de 1992 qui conférait
une présidence à vie au général Eyadéma puisque les verrous de limitation de
mandats ont été brisés par le régime togolais. Or, aux termes de l’Accord Cadre
de Lomé de juillet 1999, le président Eyadéma s’était engagé à annoncer
publiquement sur "parole de militaire" à ne plus briguer un autre
mandat présidentiel et, conformément à la Constitution togolaise, à partir à la
retraite en mars 2003. Mais, revirement de situation, plus tard, le général se
dédie et se porte à nouveau candidat à la présidentielle de juin 2003 qu’il a
encore "gagné" comme à l’accoutumée après une parodie d’élections
législatives qui préalablement, consacra à son parti une majorité mécanique
pour « charcuter » la loi fondamentale accusée d’imperfections.
Ironie
de l’histoire, Eyadéma avait lui-même appelé le peuple togolais à voter
massivement le « OUI » pour ladite Constitution lors du référendum du
27 septembre 1992. Ce fut le nouveau début de la traversée du désert pour le
peuple togolais qui avait mis tout son espoir sur le compromis politique issu
de l’Accord Cadre de Lomé puisqu’à la clé des Accords, se trouvait l’engagement
des parties signataires à renoncer et à la violence comme moyen de la politique
et à la demande d’une reprise des élections présidentielles de juin 1998, car l’opposition
estimait avoir remporté ce scrutin qui a été volé par le régime.
Aujourd’hui,
lorsqu’on interroge l’histoire de la République et qu’on revoit les conditions
dans lesquelles la Constitution togolaise a été modifiée par les préposés du
général Eyadéma dans une Assemblée monocolore, ce devait être plutôt une grosse
gêne pour tous ceux qui tenteront de donner un caractère supra démocratique à
la Constitution de 2002, objet de toutes les polémiques. Se fonder sur une
forfaiture, c’est-à-dire la dictature des temps anciens pour justifier un
présent démocratique n’est qu’une aberration, une conception à minima de la
démocratie. C’est une certitude que le général Eyadéma a saboté la volonté
populaire en revenant sur une Constitution plébiscitée. Ensuite, le fait de le
personnaliser, un texte taillé sur mesure pour perpétuer un système totalitaire
au Togo n’a rien de démocratique. Enfin, soutenir le toilettage de la
Constitution de 1992 par un ramassis d’arguties dont le refus de l’opposition à
prendre part aux élections législatives de 2002, est une médiocrité indicible.
Quelle opposition digne de ce nom apporterait sa caution à une mascarade
électorale ?
De
tout ce qui précède, exhiber une Constitution dénaturée de 2002 pour soutenir
que Faure Gnassingbé peut se représenter autant de fois qu’il le voudra, est
sur le plan d’éthique, une posture très malsaine. Qu’à cela ne tienne,
lorsqu’on évoque les réformes, certains soutiennent le rejet d’un départ de
l’actuel chef de l’État une fois les textes constitutionnels validés. Dans une
approche où ils sont souvent malaisés, ils tentent quand même de mettre les
trois mandats au compte de pertes et profits. « Faure a fait trois mandats
sous l’ancienne Constitution. Son mandat finira en 2020. Si ça fini en 2020, il
faut négocier avec lui pour voir s’il se présentera ou pas. Mais du point de
vue du droit, on est dans une nouvelle situation », dixit Fambaré
Natchaba. Une grosse maladresse d’un constitutionnaliste jadis aimé dans la
sphère du Droit au Togo. « C’est vraiment immoral »
analyse Brigitte Adjamagbo avant de préciser que « c’est une escroquerie
politique ». « Si Faure Gnassingbé maintient cette
position, il manque profondément d’éthique. Il est le seul à pouvoir faire le
choix de sortir par la grande porte ou par la petite »,
conclut-elle.
Dans
toute société politique, l’esprit de toute Loi, c’est la Justice et l’Equité. Alors
comment concevoir que quelqu’un qui a fait trois (03) mandats (dont le dernier est
en cours) grâce à une Constitution décriée par une majeure partie des Togolais,
le même homme juge normal de se représenter pour deux mandats supplémentaires (05
au total) alors que l’esprit d’une Loi est de corriger les disfonctionnements
du passé ? Où se trouvent la Justice et l’Equité si après la réforme
constitutionnelle Faure Gnassingbé se porte encore candidat aux termes de ses
trois mandats exercés ?
Au-delà,
en 2017, le réseau de recherche panafricain Afrobaromètre est allé à la
rencontre des citoyens togolais à la faveur d’un sondage dont les résultats confirment
qu’une grande majorité des Togolais ne voudrait plus avoir Faure Gnassingbé
comme président après 2020. « 7 Togolais sur 10 (70%) pensent qu’étant
donné que le président Faure Gnassingbé a déjà été élu à trois reprises, il ne
devrait plus briguer un nouveau mandat en cas d'adoption de la limitation de ce
dernier. Le souhait de voir le président renoncer à une nouvelle candidature en
cas d’adoption est partagé par la moitié (53%) des partisans du pouvoir contre
90% des partisans de l'opposition», indique le rapport de synthèse du
sondage.
Au
demeurant, vu les postures actuelles de l’opposition, vu qu’une grande partie du
peuple est aussi vent debout contre un 4e mandat de Faure, toute résistance du
régime ou toute tentative de passage en force comme en 2005 risque de plonger à
nouveau le pays dans une situation quasi insurrectionnelle, puisque les
mouvements du 19 août 2017 sont encore vivaces dans nos esprits. A Paris, le 02
avril dernier, Dr. Kossi Sama, le Secrétaire général du PNP, reçu au Quai d’Orsay,
le ministère français des Affaires étrangères, a précisé dans un communiqué du
parti qu’il mettait dans les propositions de sortie de crise, la renonciation
du Président Faure Gnassingbé à briguer un quatrième mandat en 2020. D’ailleurs
les prochaines manifestations du PNP se feront pour exiger également un départ
de Faure à la fin de son mandat. La tension risque de monter à nouveau, mais le
chef de l’État peut encore anticiper sur le prochain chaos. Il existe aussi une
vie après la présidence. Les exemples sont légion sur le continent.
Alors,
que la sagesse prévale sur les intérêts partisans et que les gouvernants
puissent se soucier de la stabilité politique du pays, gage de tout
développement. James Freeman Clarke : « La différence entre le politicien et
l'homme d'État est la suivante : le premier pense à la prochaine élection, le
second à la prochaine génération ». Que cela édifie nos
politiques.
Sylvestre BENI
Togo : Les éléments à charge contre un 4e mandat de Faure
