Militant de premières heures de l’ANC, Alliance
Nationale pour le Changement de Jean Pierre Fabre, Raymond Houndjo, une icône
discrète de ce principal parti de l’opposition, plonge son regard sur les
derniers développements de l’actualité sociopolitique au Togo. Au micro du
journal La Manchette et, dans une posture décontractée, l’homme se singularise
dans son analyse.
La
Manchette : Raymond Houndjo, Bonjour, vous êtes un peu effacé sur
l’échiquier politique togolais. Qu’à cela ne tienne, pouvez-vous vous présentez
à nos lecteurs ?
Je suis Raymond Mahougnon
Houndjo, logisticien /communicateur et passionné de politique, une
politique constructive qui renforce le vivre ensemble, les valeurs de justice
et de solidarité. Effacé, je ne le pense pas. Discret oui. Le bruit attire
l’attention des fois pour très peu de résultats. Il vaut mieux en discrétion
travailler à l’émergence de ses idéaux pour un peu plus de justice dans un
monde en proie à une décadence, un effondrement des valeurs.
Certains
pensent que vous êtes un homme de l’ombre à même d’influer sur certains leviers
et faire basculer des décisions majeures au sein de votre formation politique.
En somme, une force tranquille de votre parti, vous confirmez ?
(Rires). Une chose
est sûre, du bruit pour du bruit n’est pas productif. J’ai appris à aimer
l’ombre et les couloirs pour aider à l’évolution positive de certaines
situations. Chacun essaie de faire sa part, et je pense apporter ma modeste
contribution à chaque fois que besoin y est. J’avoue que ce n’est pas aussi
facile comme vous le pensez. L’ANC étant un grand parti.
Les
Togolais ont assisté le 8 mai 2019 à une révision constitutionnelle réclamée depuis
des décennies. Quelle appréciation faites-vous de ces réformes effectuées par
la nouvelle Assemblée nationale ?
Cette révision
consacre malheureusement le régime politique de la monarchisation et la constitutionnalisation
de l’impunité du moins pour la personne du chef de l’état actuel. Cette
constitution est taillée pour le seul bonheur d’un seul Togolais et c’est bien
dommage. Même pas pour les collaborateurs abonnés aux actes qu’on peut
qualifier d’inhumains. Les dirigeants actuels par leurs actes, plongent les Togolais
dans le désespoir. Et c’est dangereux pour notre pays. Nous, nous luttons pour
des valeurs et des principes. Si vous affectionnez certaines valeurs, vous ne
pouvez poser certains actes comme ce qu’ils ont fait le 8 Mai.
Ils peuvent dans
la caporalisation du pouvoir faire néanmoins preuve de bon sens, de courtoisie,
de solidarité et même d’amour vis-à-vis des Togolais. Malheureusement, tous
leurs actes dénotent qu’ils manquent d’amour pour ce pays. On expie
constitutionnellement tous ses péchés passés et on se donne
constitutionnellement les moyens d’en commettre impunément d’autres pendant dix
ans et plus. Pour eux, la vie n’a de valeur que pour Faure Gnassingbé et ses
collaborateurs et c’est dangereux pour ce beau pays qui mérite mieux que ceux
qui ont consacré le braquage de son destin. S’ils avaient une certaine valeur de
la vie, ils auraient pu faire autrement et répondre à l’aspiration profonde des
Togolais par un acte patriotique et d’amour pour le Togo. Et dire que c’est
pour accorder encore 10 ans de bail sur le Togo dans une impunité totale à un
seul Togolais, qu’ils ont tué des Togolais dont un enfant de 12 ans abattu à
bout portant, qu’ils ont emprisonné injustement certains citoyens, qu’ils ont
bastonné à sang d’autres et qu’ils ne sont pas prêts de s’arrêter.
C’est vraiment
triste que ceux qui dirigent ce petit pays depuis plus de 50 ans ne puissent
élever la vie politique du pays, en reconnaissant qu’ils sont comme tout humain,
des êtres finis, que cette vie n’est que de la vanité et qu’ils ne sont que des
passagers sur cette petite terre togolaise, et libérer ce pays en se libérant du
principe du pouvoir à tout prix et dans le sang.
Si Jean-Pierre Fabre
veut le pouvoir, il devra passer sur notre corps, disent certains du pouvoir
actuel comme si le pouvoir public était leur propriété privée. Pour d’autres,
l’opposition veut prendre leur place, comme si la chose publique leur
appartenait à eux et à eux seuls.
Vu
votre développement, est-ce que l’alternance est possible en 2020 ?
Pour ma part, et comme
j’ai l’habitude de le dire, il y a un temps qu’on appelle le Temps, et il est
du créateur. Quand ce Temps sonnera, le pouvoir cinquantenaire actuel n’aura
aucun instrument sur lequel s’appuyer pour reprendre la main. L’armée, les
milices, la justice instrumentalisée, la CEDEAO, l’UA, la France, et que
sais-je encore, ne seront d’aucun secours. Il est encore possible de rattraper
le temps et faire de 2020 une année de fête, d’une sincère et durable
réconciliation.
Les Togolais
méritent bien cette alternance, après plus de 60 ans de division entre les
progressistes et ceux de l’indépendance immédiate, par la suite entre le
RPT/UNIR et ceux qui souhaitent l’instauration d’une vraie démocratie jusqu’à
l’heure de cette interview.
Dieu étant Dieu,
il affermira les pieds de ses fils infatigables, assèchera leurs larmes,
soulagera leurs peines et délivrera le Togo. C’est écrit.
Depuis
90, l’opposition togolaise se bat pour l’alternance, mais l’on remarque qu’il
n’y a pas d’avancée notoire. Raymond Houndjo, pourquoi l’opposition n’y arrive
pas ?
L’humilité et
l’honnêteté intellectuelle doivent nous permettre d’avouer que la faute incombe
en partie à quelques opposants qui par le passé ont dilapidé les efforts des
populations sans oublier la farouche volonté du régime RPT/UNIR de conserver le
pouvoir à tout prix. Je féliciterai les populations togolaises du nord au sud
qui par leur sacrifice, ont fait fléchir le pouvoir dictatorial du père en fils
mais, hélas.
En effet, à la
sortie de la conférence nationale souveraine, si les uns et les autres avaient
bien géré la suite dans une unique volonté de sauver le Togo, nous n’en serons
peut-être pas là encore à lutter pour de vraies réformes et l’alternance. Après
les élections législatives de 1994 si les uns et les autres avaient laissé
leurs égos de côté et avaient la même volonté de sauver le Togo, nous n’en
serons peut-être pas là encore à lutter pour de vraies réformes et
l’alternance. Après la signature de l’APG si la primature avait axé ses actions
sur les réformes qui étaient vitales au pays et pour lesquelles au moins un
millier de nos frères ont donné leur vie, nous n’en serons peut-être pas là
encore à lutter pour de vraies réformes et l’alternance. Faure Gnassingbé aurait,
au pire, fait dix ans au pouvoir.
Certains de
l’opposition ont voulu être président pour être président, d’autres ont été
premier ministre pour être premier ministre, rien de consistant dans l’engagement
pour sauver les Togolais. Humblement, je pense que, dans le contexte sociopolitique
actuel, si un Togolais désire devenir président de la république pour être
président, il ne le sera jamais. Par contre, si dans l’engagement politique l’on
veut sincèrement sauver le Togo, on peut (je dis bien, on peut) devenir président
des Togolais.
Actuellement, nous
vivons un drame politique avec des conséquences néfastes sur la vie
socioéconomique du pays. Nous nous devons de remettre la lutte dans ses objectifs
primaires et d’une manière désintéressée.
Candidat
aux élections locales, qu’est-ce qui motive cette option ?
Je suis un
inconditionnel d’une démocratie participative et du développement à la base. L’ANC,
le parti dans lequel je milite, m’a fait cet honneur. En effet, je vais
conduire la liste de la commune Golfe 3 (Bé-Ouest) qui a pour chef-lieu
Doumasséssé, aux prochaines élections locales. J’ai de vrais et concrets projets
pour ma commune et pour moi, ce ne sont pas des vœux pieux. Je suis de ceux qui
pensent qu’avec peu, on peut faire de miracles dans la gestion d’une commune si
tant est que nous sommes animés par des valeurs et des principes. Si les
habitants de la commune Golfe 3 (Bè-Ouest, Doumasséssé) nous donnent l’occasion,
nous ferons œuvre utile et consacrerons la démocratie à la base jusque-là un
concept creux dont se font chantres les dirigeants actuels.
Pour
certains, cette tâche s’annonce assez rude. Etes-vous conscient de cela ?
Je suis bel et
bien conscient de la difficulté de la tâche qui nous attend, d’autant plus que
le pouvoir n’avait n’aucune volonté d’organiser ces élections locales, mais
aujourd’hui contraint de les organiser au forceps. L’attitude révoltante de la
cour suprême dans la conduite du processus électoral en invalidant sur fond
d’arbitraire la liste de grands noms de la politique, Éric Dupuy, Pascal
Bodjona, Jean Kissi et autres, est une preuve irréfragable que le régime pose
des balises pour embrigader ce scrutin.
Vous savez, l’article
283 du code électoral ne donne aucune compétence à la cour suprême de valider
ou d'invalider des listes pour quelque raison que ce soit. Seule la CENI peut
refuser d'enrôler une liste pour des raisons évidentes avant ou après le retour
des listes de l'administration territoriale et en prenant soin de le notifier à
la tête de liste. Et c'est en ce moment seulement que la tête de liste pour son
recours, saisit la cour suprême. Sans refus de la part de la CENI d'enrôler une
liste, la cour suprême publie juste dans le délai les listes transmise à elle
par la CENI. Vous comprenez donc que le président de la cour suprême nous a
montré ses limites et s’est plié aux injonctions. C’est revolant.
Un
mot à l’endroit des électeurs ?
Pour ceux qui sont
partis, pour leurs orphelins, pour nos frères qui sont encore en prison, pour
les handicapés à vie de la lutte, nous ne devons jamais baisser les bras. Tant qu’il y aura quelques-uns
pour dire non, les choses changeront. De ne jamais oublier que nous
luttons pour des valeurs et des principes et cela ne dépend pas de qui vient d’ici
ou de qui vient de là. Les valeurs sont des références pour l'action humaine.
On leur accorde un prix, on les estime et on y aspire. En d’autres mots, obéir
à des principes, c’est avoir une morale. Je les invite à aller voter les listes
ANC le 30 Juin prochain.
Entretien Réalisé par Xavier AGBEVE
Entretien avec Raymond Houndjo: « Tant qu’il y aura quelques-uns pour dire non, les choses changeront »
