L’exercice était longtemps attendu, très
longtemps par les populations togolaises. Et après 2006, il a fallu treize (13)
ans avant que les Togolais ne puissent encore suivre le Président de la
République s’adresser aux députés sur l'état de la Nation, conformément à
l’article 74 de la Constitution. Même si explicitement, il n’est pas obligé à
le faire une fois l’an selon la Constitution, du fait de la situation que
traverse le pays, ce serait assez réfléchi que le chef d’Etat communique
habituellement sur la santé politique, financière et sociale du pays. Alors, le
26 avril dernier, veille de la célébration de l’indépendance du Togo, le chef
d’Etat a pris rendez-vous avec les députés. Au sortir de cette rencontre, la
déception est immense.
Dans une ferveur généralisée, les Togolais
se sont accrochés à leur poste télé pour suivre le discours du Président de la
République, Faure Gnassingbé devant ses députés nommés. Mis à part les avisés
de la scène politique togolaise qui savent que du pouvoir public actuel, rien
de plus profitable au peuple ne peut provenir, beaucoup sont quant à eux restés
dans la logique de Saint-Thomas qui consiste à voir avant de croire. Eh bien, ils
ont été servis : Déception !
D’abord l’engouement suscité à l’annonce que
le président sera devant les députés s’explique par le fait que le chef de
l’Etat togolais, Faure Gnassingbé ne s’est pas adressé à la Nation le 31 décembre
passé, veille de la Saint-Sylvestre comme il en a l’habitude. Du coup,
plusieurs ont vite fait d’oublier qu’ils sont au Togo, espérant que comme cela
se fait ailleurs, dans les pays où le peuple est respecté et où la démocratie
est bien enracinée, que le Président de la République fera de grandes annonces
et prendra de grandes décisions qui feront l’unanimité au sein de la classe
politique togolaise et par ricochet, au sein de la population qui ne cessera de
saluer son courage ou son bravoure. Ils ont bien cru, mais au finish, déchanté !
Puisque les gouvernants togolais ne connaissent pas la honte dans leur
vocabulaire et donnent souvent l’impression d’être nés après le ridicule. Cela
se voit au jour le jour dans leurs attitudes.
La scène qui s’est passée à l’Assemblée
Nationale Togolaise le vendredi dernier, 26 avril 2019, où tous les députés
applaudissaient à tout rompre leur président bien-aimé, président fondateur,
leur plus grand bienfaiteur, cette scène, disions-nous, est digne d’une comédie
au Parlement du rire où des artistes comme Gohou, Mamane, Adama Dahico et
autres amusaient la galerie et leurs convives riaient à mort.
Première étape de la comédie, l’hommage à
un homme que les gens ont tout fait pour ajouter au décor. « Je salue M. Gilchrist
Olympio, chef de file de l’opposition, dont la présence en ces lieux nous
rappelle que les acteurs politiques peuvent et doivent transcender l’approche
antagoniste pour se retrouver – dans la complémentarité – au service de la
patrie. Je voudrais lui rendre hommage pour son engagement républicain et son
sens élevé de la patrie, » dixit Faure Gnassingbé devant Gilchrist
Olympio, actuel président de fait de l’UFC, Union des forces de changement, un parti
de la mouvance présidentielle puisque le parti au pouvoir, RPT-UNIR et l’UFC
sont depuis le 26 mai 2010 dans une alliance politique dont les résultats
escomptés se font toujours désirer. « L’UFC assume le bilan décevant de
l’accord RPT-UFC. Le RPT-UNIR a planté les graines du désespoir, »
avait déclaré M. Olympio. Qu’à cela ne tienne, de l’appellation de Gilchrist
Olympio « chef de file de l’opposition » par Faure Gnassingbé, fait
que la scène est d’autant plus hilarante lorsqu’on se remémore la passe d’armes
entre les deux hommes il y a quelques mois.
En effet, en novembre 2017, dans une
sortie médiatique, le président de l’UFC avait mis les pieds dans les plats,
aux lendemains de la révolte populaire d’août 2017 : « Ayons le courage de reconnaître
que si Faure Gnassingbé était arrivé au pouvoir par les normes, le bilan de son
règne ne serait pas aussi sombre ». Aussi a-t-il dit que le régime doit
accepter le retour aux fondamentaux de la Constitution de 1992, et soutient
surtout que le Président Faure doit accepter de ne pas se présenter en 2020,
fin de son mandat. Réponse du berger à la bergère, Faure Gnassingbé, qui dans
une interview à Jeune Afrique dans laquelle il laisse transparaître son envie
de rempiler en fin 2020, tente une insulte à l’intelligence du patron de l’UFC
en ces termes : « Le parti de Gilchrist Olympio s’est entre-temps divisé, et la
majorité a rejoint l’ANC de Jean-Pierre Fabre. L’essentiel de sa propre famille
biologique est également resté au sein de l’opposition. Ce sont ses proches qui
ont exercé des pressions sur lui afin qu’il adopte cette position, tout en
annonçant sa retraite politique ». Une manière assez subtile pour le
président togolais de faire croire à l’opinion que le « vieux » n’est plus
capable de réfléchir de lui-même et doit désormais être aidé par les autres qui
mettent la pression. Aujourd’hui, c’est bien le « retraité
politique » qu’il appelle affectueusement « chef de file de
l’opposition ». Les anglophones diront : « What is going
on ? (Que se passe-t-il en réalité) ».
Dans une deuxième étape de la comédie, le président
togolais veut rassurer l’opinion de son engagement à faire de la justice
sociale une réalité vécue par tous, à travers la redistribution effective des
fruits de la croissance nationale. Un rapide détour dans un passé récent donne
ce qui suit : « Lorsque le plus petit nombre accapare les ressources au
détriment du plus grand nombre, alors s’instaure un déséquilibre nuisible qui
menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès ».
Extrait du discours du 26 avril 2012, veille de la commémoration de
l’indépendance du Togo. Malgré ce qu’on peut qualifier au bas mot d’aveu, qu’a
fait le président pour arrêter l’hémorragie ? Rien ! Puis le mal se
mue en épidémie. Désormais sous Faure Gnassingbé, la corruption et les crimes
économiques sont des vertus, la franchise et la bonne gouvernance, des vices. Voilà
pourquoi, cette mesure de poursuivre l’amélioration de la gouvernance,
notamment en mettant, dans les mois qui viennent, un accent particulier sur la
lutte contre la corruption, beaucoup ne le croient pas parce que manifestement,
la corruption et la mal gouvernance sont entretenues par les amis du président.
Il suffit de rappeler sous l’ancien ministre des Sports, Guy Lorenzo, les 600
millions FCFA de la CAN 2013 et les 25 milliards qui se sont mystérieusement
volatilisés dans le projet de construction de la route Lomé-Vogan-Anfoin sous
l’ex-ministre du
Transport et des Infrastructures Ninsao Gnofam.
Comme l’exercice n’a d’importance que de
séduire les Togolais, lors du discours, le chef de l’Etat croit avoir atteint
son objectif lorsqu’il annonçait qu’un projet de loi organique sera soumis à
l’Assemblée nationale pour déterminer les conditions de mise en œuvre de la
déclaration des biens et avoirs prévue par la Constitution. En effet, l’article
145 a prévu que « Le Président de la République, le Premier Ministre, les membres
du Gouvernement, le Président et les membres du bureau de l’Assemblée nationale
et du Sénat et les directeurs des administrations centrales et des entreprises
publiques doivent faire devant la Cour Suprême une déclaration de leurs biens
et avoirs au début et à la fin de leur mandat ou de leur fonction… ».
Après 15 années de pouvoir où tous ceux
qui gravitent autour du Président Faure sont devenus immensément riches,
certains peuvent en six mois dans le gouvernement, s’offrir une maison à 200
millions FCFA comme le révélait un organe de presse récemment, pendant que d’autres
peuvent climatiser leur garage et salle de bain, c’est après toutes ces folies
dispendieuses et surtout à l’orée de la présidentielle de 2020 que Faure
Gnassingbé veut soumettre un projet de loi à l’Assemblée pour déterminer les
conditions de mise en œuvre de la déclaration des biens et avoirs. Non, les
Togolais ne sont plus dupes. Ni aujourd’hui ni demain, ils ne croiront plus à la
magie. Tellement, ils connaissent ceux qui les ont habitués à des mensonges qu’ils
ne tomberont plus facilement dans le panneau. Ni le PND ni une pseudo
préoccupation du gouvernement visant à améliorer le pouvoir d’achat, à travers
la revalorisation – dès janvier 2020 – de la valeur indiciaire à hauteur de 5%,
ne peuvent plus les bluffer. Ils demandent une seule chose : l’Alternance au
lieu de la litanie de la parole. En clair, l’exercice du 26 avril n’a pas
marché. Comme vos voisins de l’ouest, on dira : Come again ! (revenez
plus tard).
Sylvestre
BENI
Discours de Faure Gnassingbé : Paroles…Paroles…Paroles !
