Après les cafouillages constatés dans l’organisation
des premières élections municipales et multipartites au Togo le 30 juin 2019,
et la proclamation des résultats provisoires par la CENI le 5 juillet, un fait
politique majeur a retenu l’attention des observateurs de la scène politique
togolaise. Il s’agit, en effet, du taux de participation qui fait froid dans le
dos. Une réalité dont les causes profondes sont bien connues et les
conséquences risquent d’être dramatiques à moins de huit (08) mois des
élections présidentielles de 2020 qui focalisent toutes les attentions puisque
le projet d’alternance en 2020, devait y passer par là.
Près
de 50% des populations togolaises ont marqué leur total désintérêt pour les
élections municipales
du 30 juin dernier. Un taux d’abstention record obtenu depuis la prise du
pouvoir en avril 2005 par le fils du Général Gnassingbé Eyadema. Un fait qui logiquement,
témoigne de la lassitude du peuple togolais quant au combat d’alternance par
les urnes. « Le problème du Togo ne peut être réglé dans les urnes, »
tranchent certains.
En
effet, depuis les mouvements de contestation politique enclenchés dans les
années 90 par l’opposition démocratique pour réaliser l’alternance au Togo, la
succession des évènements, notamment les coups d’état manqués, les manifestations
de rue à caractère insurrectionnel, le chapelet de dialogues politiques initiés
et les multiples élections organisées, n’a jamais aidé à réaliser l’alternance
et le changement tant souhaités par la majeure partie du peuple togolais.
Ainsi,
progressivement, les esprits de veille togolaise pour la démocratie véritable et
le changement de gouvernance se noient et se meurent dans une totale
indifférence. Dans ces conditions, le projet d’alternance en 2020, devenu un slogan
des partis d’opposition, ne se résume qu’à un rêve, puisque beaucoup ont depuis
baissé la garde.
Les facteurs de
lassitude
De
2005 à aujourd’hui, du fait des échecs répétés dans la quête de l’alternance
politique que par les urnes, les chantres de cette vision, pourtant noble,
c’est-à-dire les plus démocrates des Togolais, ont déchanté. C’est ce qui explique
le taux d’abstention qui croit à chaque élection et ce, depuis le scrutin
présidentiel de 2005 avec une baisse en 2007 s’agissant des élections
législatives de cette année-là. Mais depuis 2010, la remontée de ce taux est
effroyable (confer graphique), et l’alternance semble irréalisable.
Plusieurs
facteurs peuvent aider à comprendre le fond de ce phénomène d’abstention dont
les conséquences vont tout naturellement retarder l’échéance de l’alternance en
2020 si rien n’est fait pour juguler ce mal.
Pour
l’heure, cette situation de total désintérêt des Togolais, peut être expliquée
par l’attitude du régime togolais qui se ferme à toute idée d’alternance politique
au Togo en développant des théories identitaires pour susciter dans la masse la
méfiance vis-à-vis des membres de l’opposition et la peur de l’inconnu. Aussi
déploie-t-il sans pitié, des moyens ou méthodes les plus perfides, vils et
abjects pour s’éterniser au pouvoir. Les systèmes de fraude électorale installés
à chaque élection, la partialité à peine voilée des institutions en charge des
élections, la forte militarisation du pays avec des forces de sécurité et de
défense qui, depuis des lustres, semblent prendre fait et cause pour le parti
au pouvoir, etc. tout cela émousse l’ardeur et la détermination de ceux qui
croient à l’alternance par les urnes. Du coup, aidés par le fait que le vote
n’est pas obligatoire au Togo, ils ne voient plus l’intérêt de s’engager dans
ce parcours de combattant pour s’offrir les cartes d’électeur lors de la
période de recensement électoral ou de révision pour plus tard braver les intempéries,
pluie ou chaud soleil, aller voter. Ainsi, le sens du droit et du devoir
civique n’est plus priorisé. Conséquence : les Togolais, très déçus de la
monotonie, se versent dans le fatalisme et les plus croyants remettent leur
sort entre les mains du divin Créateur qui d’après eux, reste le seul espoir,
le seul rempart qui pourra un jour les libérer de la monarchie rampante au Togo.
Or, n’est-il pas écrit : aides-toi et le ciel t’aidera ?
Oui,
certains ont compris qu’ils doivent nécessairement se battre pour asseoir
l’alternance. Seulement, ceux qui sont sensés les aider, leur indiqué la voie,
se fourvoient. Ils déçoivent et démobilisent le peuple. C’est pourquoi beaucoup
voient dans les facteurs qui conduisent au fort taux d’abstention, l’incohérence
dans la lutte politique que mènent les partis d’opposition avec des guerres de
tranchées et autres guéguerres implacables souvent constatées dans les rangs de
cette opposition qui devait être unie contre l’adversaire commun. Aussi évoquent-ils
la crise de leadership qui déteint sur les mobilisations générales et empêche
les peuples en lutte pour l’alternance d’asseoir une unité d’actions pour la
conquête du pouvoir. Car, sur le terrain, chaque militant s’accroche à la ligne
définie et défendue par son président de parti, tel un disciple dépersonnalisé resté
fidèle à son gourou. Chacun défend sa thèse et se croit le plus grand
théoricien du monde. Or une lutte avec une pluralité de leaders échoue
lamentablement, comme le rappelle le leader ivoirien, Charles Blé Goudé dans
son récent ouvrage : De l’enfer, je reviendrai (Paris, 2016).
Il dit : « C’est le combat mené dans le désordre, sans schémas, sans but
précis, avec une pluralité de leaders qui avait fait échouer la lutte aux mains
mues. Quand il y a trop de bergers, les moutons ne savent plus lequel suivre et
ils se perdent ».
Dans
ce schéma, un observateur de la scène politique togolaise déclare : « Nous
savons tous quoi faire pour provoquer l’alternance mais les leaders de l’opposition
sont trop imbus de leur personne pour travailler dans le sens de l’union. Les
ténors ne veulent pas s’éclipser et mettre devant une personne qui trouvera l’assentiment
de plusieurs. UNIR a un boulevard devant si les gens n’arrivent pas à résoudre
cette simple équation ». Il poursuit: « l’avantage de ressources
humaines et de moyens pour la sécurisation des résultats des urnes passent
forcément par la synergie des forces opposées à ce système. Mais on nous dira
qu’il n’est pas possible que les crabes et les grenouilles cohabitent ensemble.
On attend le seul hercule politique qui pourra tout seul un jour nous permettre
de nous libérer avant l’an 3000 ».
Abordant
dans le même sens, le
président du Front des Architectes de la République (FAR), Johannes Bavon, pense
qu’il faudrait que les Togolais se réveillent maintenant, qu’ils sachent que ce
n’est pas un match qui se joue entre le CAR et l'UNIR ou entre l'ANC et l'UNIR
ou encore entre la C14 et l'UNIR. La lutte togolaise ne doit pas être perçue
comme cela, ajoute-t-il. D’après M. Bavon, les enjeux des élections
présidentielles de 2020 sont énormes. Et les leaders politiques qui luttent
pour le changement doivent revoir leurs stratégies, peaufiner leurs plans pour
qu’au lendemain du scrutin, les Togolais puissent crier de joie. « C’est
ma vie, c’est votre vie, c’est la vie de nos enfants, c’est le destin de chaque
Togolais qui va se jouer en 2020. Nous n’allons plus laisser qui que ce soit
nous faire suivre le vent de l’illusion. Et enfin de compte, battre les
paupières au lendemain des élections en clamant qu’on nous a volés. On ne peut
plus suivre des gens dans ce cafouillage. Sinon, si nous ratons 2020,
attendons-nous encore à 50 ans de règne des Gnassingbé, » avait-il
prévenu.
Aujourd’hui,
il urge de faire comprendre à tous qu’aussi longtemps que les partis
d’opposition resteront dans la posture de division pour combattre un adversaire
commun qui lui, a des ramifications un peu partout, l’alternance appelée de
tous les vœux par le peuple togolais dans sa majorité, restera un rêve. Aussi
longtemps qu’ils ne comprendront pas que l’union fait la force, ils ne
resteront que dans la définition des slogans stériles pour la conquête du
pouvoir. Au final, il restera au peuple le pouvoir de tourner le dos au bataclan
d’opposants carriéristes et égoïstes pour se choisir un leader capable du
renouveau et qui sait faire dans l’union pour réaliser l’alternance. Il en va
pour l’intérêt de tous.
Sylvestre BENI
Abstention au Togo : Les causes profondes d’un mal qui coûtera l’alternance
